jeudi 5 janvier 2017

Le garçon - Marcus Malte

Le garçon est un héros sans nom ni voix. Un enfant sauvage élevé par sa mère au fin fond de la Provence, près de l’étang de Berre. A la mort de sa génitrice, il quitte sa terre natale et découvre pour la première fois ses semblables. Livré à lui-même, ne connaissant rien des usages du monde, le garçon parcourt avec innocence le début du 20ème siècle, d’un hameau perdu aux champs de foire, d’une vie de bohème aux grands boulevards parisiens, des tranchées de la Grande Guerre au bagne de Cayenne et à l’Amazonie.

En chemin il découvre l’âpreté d’une vie de rien, la bonhommie d’un lutteur invincible, la bienveillance d’un notable et la passion brûlante de sa fille, la douleur de la perte, l’horreur de la guerre. Au fil des pages affleure l’éveil d’une conscience, conscience d’une âme pure appréhendant le monde « civilisé » dans toute son horreur et sa complexité.

Pfff, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ? Le garçon m’a laissé sur le cul. A la fois conte cruel et roman d’apprentissage, ce récit hypnotique est porté par le désenchantement, traversé par une mélancolie poétique doublée d’une profonde réflexion sur l’humanité. C’est un récit fleuve qui ne cesse de gagner en puissance, à l’écriture tantôt lyrique, tantôt nerveuse,  toujours tenue. Une écriture en demi-ton, « à l’oreille », d’une sonorité délicieusement musicale, si caractéristique de Marcus Malte.

Il lui aura fallu cinq ans pour venir à bout de ce roman-monde plein de souffle à la trame narrative ample, ambitieuse, loin, si loin du minimalisme ambiant et des geignardises nombrilistes de la littérature française actuelle. Mon plus gros coup de cœur de la rentrée littéraire, sans discussion possible. Je l’ai lu début août. Cinq mois plus tard, pas besoin de le rouvrir pour rédiger ce billet, je m’en souviens comme si c’était hier. C’est pour moi la marque des grands livres, des rares livres qui marquent de façon indélébile une vie de lecteur.

PS : Pour tout vous dire et au risque de spolier, si j’ai tout aimé dans ce roman, j’ai particulièrement apprécié sa conclusion. Le retour à l’état originel, animal. Le retour à la solitude, celle qui nous habite à la naissance et face à laquelle on se retrouve au moment de fermer les yeux pour la dernière fois. Entre les deux, les rencontres, l’amitié l’amour, les conflits, les bons et les mauvais moments passés dans la communauté des hommes. Mais au final le garçon est seul, il quitte cette humanité qu’il a eu tant de mal à atteindre, à apprivoiser, à comprendre. Parti de la sauvagerie, il y retourne sans regret, apaisé et serein. J’ai adoré cette façon imparable d’achever une si belle histoire.

Le garçon de Marcus Malte. Zulma, 2016. 544 pages. 23,50 euros.


Une lecture commune prévue de longue date et partagée avec la douce Moka. Après Blast et Confiteor, j'ai la chance de découvrir à ses cotés un troisième titre inoubliable. Et je sais d'avance que l'on ne s'arrêtera pas à trois.





mercredi 4 janvier 2017

Jamais je n’aurai 20 ans - Jaime Martin

Juillet 1936. Franco et les généraux putschistes lancent le coup d’état qui fera de l’Espagne une dictature militaire trois ans plus tard, après la capitulation des forces républicaines. Au début de la guerre civile, Isabella, la grand-mère de Jaime Martin, a tout juste 20 ans. Couturière illettrée, elle fréquente une bande de jeunes de son âge portés par les idéaux libertaires. Son futur époux, Jaime, s’est engagé dès le début du conflit dans une unité d’artillerie républicaine. Au moment où la dictature s’installe, tous deux vivent chichement (et dangereusement) grâce, entre autres, à la contrebande de tabac. Après la naissance de leurs deux premières filles (ils en auront trois), ils se lancent dans la récupération de bouteilles vides qu’ils revendent aux pharmacies et aux viticulteurs. Une petite entreprise qui prospère rapidement, même si le passé républicain du couple laisse planer sur leur quotidien un danger aussi insidieux que permanent.

Magnifique regard porté par l’auteur sur ses grands-parents et leur douloureuse histoire. Il met en lumière leur engagement politique, les épreuves auxquelles ils ont dû faire face et leur abnégation pour offrir à leurs enfants les meilleures conditions de vie possibles malgré une situation critique, sans pour autant en faire des héros, sans tomber dans l’exercice d’admiration. Le sujet est traité avec pudeur et délicatesse, en dehors de tout jugement, de tout parti pris. Jaime Martin dit la guerre avec une grande justesse, il dit la peur, l’horreur des combats et des exécutions sommaires, les privations, les humiliations, l’angoisse, les petits moments de bonheur, le pays écrasé par la botte fasciste, une jeunesse éprise de liberté dont les rêves ont été brisés.

La narration, respectant la chronologie des événements, reste d’une parfaite lisibilité grâce à un découpage et un dessin à la fois sobres et efficaces. « Jamais je n’aurai 20 ans » est un remarquable travail de mémoire utilisant l’histoire familiale pour offrir un témoignage à la portée universelle. Un très grand album.

Jamais je n’aurai 20 ans de Jaime Martin. Dupuis, 2016. 120 pages. 24,00 euros.



Toutes les BD de la semaine
 sont aujourd'hui chez Moka














mardi 3 janvier 2017

Noir d’ancre : Le prix de la nouvelle érotique

Un recueil regroupant la nouvelle gagnante du prix de la nouvelle érotique 2016 et dix autres textes sélectionnés par le jury. Créé par les Avocats du Diable, le Prix de la Nouvelle Érotique propose d’écrire une nouvelle inédite à l’occasion du passage à l’heure d’hiver. Une seule nuit donc pour rédiger une histoire et l’envoyer par mail impérativement avant 7h00 le lendemain matin. Un défi littéraire s’accompagnant d’une double contrainte (contexte de situation et mot final identique pour tous, tirés sous contrôle d’huissier) afin d’obliger chaque participant à développer un imaginaire de circonstance.

Pour cette première édition, la double contrainte était « Jamais sans toi, peut-être avec un autre » et le mot final « Ancre ». Entre le samedi 24 octobre 2015 à 23h59 et le dimanche 25 à 7h00, 242 participants se sont pliés au jeu et ont rendu leur copie. Six mois plus tard, le jury annonçait le nom de la lauréate, Isabelle Cousteil, pour son texte « Noir d’ancre ».

Honnêtement, l’histoire gagnante n’est pas ma préférée, loin de là même. Très peu d’érotisme, une esthétique très 19ème siècle avec une petite touche de fantastique en conclusion qui ne m’a pas fait le moindre effet. Après, j’ai beaucoup apprécié l’éclectisme des choix du jury. La variété est de mise et c’est un vrai plaisir de découvrir le classicisme un peu cliché mais efficace de Gilles Milo-Vacéri, l’originalité de Robert Louison avec sa variation autour du potentiel érotique du Petit Larousse, la surprenante chef d’orchestre d’Anne Bourrel, l’amant toujours prêt à se mettre en route de Sylvie Sanchez et même le SM assez poussé mais fort bien mené de Daniel Nguyen. Seul Régis de Sà Moreira et son anecdotique « Va-et-vient » m’ont semblé un cran en dessous.

Et mes lauréats rien qu’à moi ? Et bien j’aurais du mal à départager deux textes qui m’ont vraiment emballé. D’abord le très beau « Kundalini » de Diniz Galhos traitant le thème de la vieillesse tout en sensibilité. Ensuite le saphisme chic, élégant et très émoustillant de Catherine Verlaguet, une auteure de théâtre que j’apprécie depuis quelques années maintenant.

En tout cas, compte tenu des contraintes imposées par le règlement, je salue la qualité des textes produits. L'exercice n'était vraiment pas simple, le résultat est d'autant plus remarquable, au moins pour les onze nouvelles contenues dans ce recueil.

Noir d’ancre : Le prix de la nouvelle érotique. Au Diable Vauvert, 2016. 155 pages. 12,00 euros.










lundi 2 janvier 2017

Le bon fils - Steve Weddle

Le fin fond de l’Arkansas, Roy y revient après dix ans de taule. Personne n’a oublié ce qui l’a envoyé derrière les barreaux. Personne n’est décidé à lui pardonner. Roy trouve refuge chez sa grand-mère. Il est prêt à se racheter une conduite, prêt à tout faire pour ne pas replonger. Mais en dix ans le bled paumé où il a grandi a bien changé. La crise a laissé des traces, la misère gagne du terrain chaque jour, les drogues et l’alcool font des ravages et chacun tente de s’en sortir comme il peut, quitte à dangereusement flirter avec l’illégalité. Et Roy, malgré ses bonnes intentions, ne va pas faire exception à la règle.

Un roman qui déstabilise. Sa construction décousue m’a d’abord fait penser à un recueil de nouvelles. Le lieu reste en permanence le même, on retrouve des personnages d’un chapitre à l’autre et Roy fait le lien entre des textes de prime abord disparates. Au final la cohérence est bien là mais il n’est pas toujours évident de s’y retrouver. Pour le coup, il vaut mieux l’avaler d’une traite plutôt que de morceler la lecture afin de ne pas perdre le fil.

 La narration est donc ambitieuse mais elle demande de l’attention.  C’est sans doute ce qui à péché me concernant,  je n’ai pas su me rendre suffisamment disponible pour profiter d’une histoire dans laquelle j’ai peiné à me plonger totalement. Et puis je dois me rendre à l’évidence, j’ai trop lu de romans se déroulant dans l’Amérique rurale dernièrement (Viens avec moi, Corrosion, Les maraudeurs, Pottsville, Là où les lumières se perdent),  j’y retrouve toujours les mêmes ambiances et les mêmes types de personnages, voire d’intrigues, ce qui à la longue devient lassant. Clairement, ce n’était pas le bon moment pour déguster ce Bon fils dans les meilleures conditions. Impossible cela dit de nier que ce premier roman est pétri de qualités. D’ailleurs le tout premier chapitre, isolé du reste, ferait une nouvelle absolument sublime.

Le bon fils de Steve Weddle. Gallmeister, 2016. 215 pages. 20,00 euros.




jeudi 29 décembre 2016

Bilan romans 2016

87 romans avalés en 2016. Beaucoup de textes courts mais aussi quelques pavés. Bien plus que d’habitude d’ailleurs. Et ma plus belle lecture de l’année en est justement un, de pavé. Pour le reste, j’en suis resté aux fondamentaux : auteurs chouchous, premiers romans, goût prononcé pour les littératures américaines, japonaises et nordiques, nouvelles, recherche de textes qui grattent et qui piquent, un poil d’érotisme et de jolies découvertes dues aux recommandations des copines.

Au final, malgré une certaine lassitude ces dernières semaines, le bilan reste très positif :
(et comme toujours il suffit de cliquer sur les couvertures pour lire mon avis complet)




Le chef d’œuvre




La crème de la crème












Des premiers romans français


http://litterature-a-blog.blogspot.fr/2016/01/en-attendant-bojangles-olivier-bourdeaut.html








Des premiers romans étrangers








Des romans venus du froid











http://litterature-a-blog.blogspot.fr/2016/12/la-faim-blanche-aki-ollikainen.html


L’Amérique, l’Amérique












De bonnes nouvelles




http://litterature-a-blog.blogspot.fr/2016/01/jenvisage-de-te-vendre-jy-pense-de-plus.html






Le premier roman de la copine que j’ai tant aimé































mercredi 28 décembre 2016

Bilan BD 2016

Plus de 150 BD lues cette année. Des déceptions, des satisfactions, des confirmations, des « peut mieux faire », des divines surprises. Des auteurs retrouvés avec le même plaisir, de nouvelles plumes, des vieux routiers qui feraient mieux de lever le pied. Une production foisonnante, incroyablement diversifiée, de l’adaptation de roman à la série « classique », du roman graphique à la BD jeunesse, de la biographie à l’autofiction, de l’humour à l’aventure, des vieux héros revisités aux petits nouveaux qui s’affirment. J’ai eu la chance de lire en 2016 un chef d’œuvre et cinq albums d’une exceptionnelle qualité. Et tant d’autres choses encore que mon année BD méritait un (très) large tour d’horizon.


(comme d'hab, pour lire mon avis complet, il suffit de cliquer sur les couvertures)


Le chef d’œuvre



La crème de la crème













Riad mon héros





Fabcaro forever






Zidrou le stakhanoviste









La BD jeunesse au top










Les vieux héros revisités












Les cadeaux des copines qui m’ont comblé













Ces albums tant aimés dont je n’ai pas parlé