samedi 15 juillet 2017

La trouille - Julia Billet

Il a peur. Une trouille incontrôlable de sortir après dix mois de taule. Retrouver sa mère qui a toujours été présente pendant sa détention, revoir son copain Fred et peut-être même Élina dont il n’a plus de nouvelles. Il a fini par trouver ses marques en cellule. Une vie dure mais un quotidien réglé comme du papier à musique. Dehors, le monde a tourné sans lui. Dehors, il ne sait pas ce qui peut lui tomber dessus. Dehors, le chemin lui semble tellement plus risqué qu’entre les murs de la prison.

La psy lui propose une sortie en montagne. Avec elle, d’autres détenus, un maton, un guide et un agent de probation. Le but ? Grimper sur un sommet pour y construire un igloo. Réapprendre à vivre au grand air, apprécier le silence et l’immensité des espaces naturels. Il dit oui sans trop savoir dans quoi il s’embarque, sans savoir que ce qui va se passer sur les hauteurs restera « tatoué bien plus profond que [sa] peau ».

Un nouvel éditeur jeunesse qui se lance avec pour ambition de proposer aux enfants et adolescents « des livres pour développer leur sens critique et pour rêver un monde qu’ils méritent », ça me parle. Julia Billet (auteure de « La guerre de Catherine » à l’école des loisirs adapté récemment en BD chez Rue de Sèvres) signe ici un texte court et percutant où le « je » du narrateur exprime à la fois ses doutes, ses peurs et ses espoirs. La construction de l’igloo symbolise un avenir plein de promesses : « Comme si ce bâtiment de glace allait faire de nous des bâtisseurs pour qui tout sera possible par la suite ».

Un roman jeunesse d’une grande humanité qui aborde le sujet sensible de la réinsertion sans poncif ni angélisme. Et un éditeur à suivre de très près, c’est une évidence.

La trouille de Julia Billet. Le calicot, 2017. 64 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.




jeudi 13 juillet 2017

Des femmes remarquables - Barbara Pym

Une lecture à contre-courant. Tellement pas mon truc les turpitudes de la midddle class anglaise de l’après-guerre. Et le moins que l’on puisse dire c’est que Mildred, la narratrice, vieille fille se qualifiant elle-même « d’inutile », ne vend pas du rêve.

Mildred est une trentenaire célibataire travaillant à mi-temps et consacrant le reste de son temps à sa paroisse. Une paroisse dirigée par un pasteur qui vient de céder aux avances d’une veuve pendant que dans l’immeuble de Mildred s’installe Helena, une anthropologue dont le mari Rocky, soldat, va bientôt revenir d’Italie. Le couple n’est pas un modèle de vertu, Helena semblant attirée par son collègue Everard Bone et Rocky ayant multiplié les conquêtes pendant son passage sous les drapeaux. Mildred observe les comportements des uns et des autres. Elle est souvent associée malgré elle aux événements et doit constamment prendre parti. Son cas personnel ne semble pas intéresser grand monde et si Rocky ne la laisse pas insensible, elle ne se fait pas la moindre illusion quant à la suite de leur relation.

Outch ! Voila ce que j’ai pensé au départ. Une grenouille de bénitier qui passe son temps à boire du thé et à échanger des cancans, à préparer des ventes de charité et à entretenir son intérieur, c’est au-delà de ce que je peux supporter. Mildred est le genre de personne dont le cœur se réchauffe « à la pensée des êtres si bons et si simples qui [mènent] une existence peu compliquée ». Rien que ça. Rock'n Roll la Mildred !

Et pourtant j’ai lu le roman jusqu’au bout. Sadomasochisme ? Même pas. En fait, je ne me suis pas ennuyé une seconde avec l’ennuyeuse Mildred. Parce que le récit est traversé par un humour typiquement british et une pointe d’ironie aussi discrète que malicieuse. Parce que Barbara Pym, ayant elle-même étudié l’anthropologie, propose une étude de mœurs où elle observe par le petit bout de la lorgnette le quotidien de gens ordinaires et que j’aime cette façon de procéder. L’intrigue est réduite à son strict minimum, c’est indéniable, mais l’intérêt réside dans cette observation méticuleuse à la fois sans concession et pleine de tendresse. Un roman qui vaut surtout pour son ambiance, ses dialogues et son flegme si britannique.

Au final je ne suis pas mécontent d'avoir nagé à contre-courant. Et je suis surtout ravi d’avoir enfin découvert la plume pleine de charme de Barbara Pym.

Des femmes remarquables de Barbara Pym (traduit de l'anglais par Sabine Porte). Belfond, 2017. 320 pages. 17,00 euros.




mardi 11 juillet 2017

Les beaux étés T3 : Mam'zelle Estérel - Zidrou et Jordi Lafebre

Après 1973 et 1969, on continue à remonter le temps avec la famille Faldérault.

 1962. Une fois encore les vacances s’annoncent et Pierre va inaugurer la nouvelle 4L flambant neuve offerte par son beau-père. Des beaux parents qui s’invitent dans leurs bagages, direction Saint-Etienne. Pas franchement un séjour de rêve tant belle-maman, cassante et rabat-joie au possible, plombe l’ambiance. Et puis Pierre et sa femme pensaient que le passage dans la Loire ne serait qu’une étape avant de pouvoir filer vers la grande bleue et planter les tentes au grand air. Or, ils apprennent en arrivant à l’hôtel que les chambres ont été réservées (par belle-maman bien sûr) pour toute la durée des vacances…

Pas d’action, pas de franche rigolade, pas d’événements majeurs. Avec les Beaux été on s’installe, on profite des dialogues ciselés de Zidrou, du dessin plein de charme de Jordi Lafebre et on sourit. Beaucoup. Un sourire qui ne nous lâche pas de la première à la dernière page.

Une série qui déborde de tendresse et joue avec subtilité sur la corde sensible sans en rajouter. L’époque est restituée à merveille, tant au niveau des décors que des vêtements. Les personnages sont attachants, les enfants craquants et on déroule une pelote de petits riens, de contrariétés sans conséquence et de bonheurs simples qui font du bien. Voilà, c’est ça. Un album qui fait du bien. Ni plus ni moins. Et bordel que j’en avais besoin !

Les beaux étés T3 : Mam'zelle Estérel de Zidrou et Jordi Lafebre. Dargaud, 2017. 56 pages. 14,00 euros.

M on avis sur le tome 1. Et sur le tome 2.



dimanche 9 juillet 2017

Les lectures de Charlotte (40) : Tu m’attraperas pas ! - Timothy Knapman et Simona Ciraolo

Jackie est rapide. Très rapide même. C’est simple, Jackie est la souris la plus rapide du monde. Personne n’arrive à l’attraper. Ni le renard, ni le loup, ni l’ours, et encore moins Tom le vieux chat. Jackie se sent à l’abri du danger, Jackie déborde de confiance, jackie fanfaronne. Mais c’est bien connu, l’excès de confiance n’est pas un signe d’intelligence. Et la souris la plus rapide du monde devrait se méfier quand elle se frotte à l’adversaire le plus malin du monde…

Une variation de plus sur les relations conflictuelles entre les chats et les souris qui n'est pas sans rappeler le célèbre et fameux "Roule galette". Les dialogues sont savoureux et le dessin nerveux de Simona Ciraolo illustre à merveille la vivacité de Jackie et l’agacement des animaux qui croisent sa route. Le rythme est trépidant, digne des courses folles des protagonistes. Cerise sur le gâteau, la fin cruellement drôle apporte une délicieuse petite pointe d’irrévérence. Inutile de vous préciser que Charlotte adore cet album.



Tu m’attraperas pas ! de Timothy Knapman et Simona Ciraolo. Pastel, 2017. 32 pages. 13,00 euros. A partir de 3-4 ans.





vendredi 7 juillet 2017

Les douze balles dans la peau de Samuel Hawley - Hannah Tinti

« Son corps était couvert de cicatrices rondes : des blessures par balles, qui s’étaient refermées. Un trou dans le dos, un à la poitrine, un troisième près de l’estomac, un quatrième à l’épaule gauche, un autre au pied gauche. Les cicatrices étaient foncées et plissées par endroits, comme si les balles qui avaient pénétré dans le corps de Samuel Hawley s’étaient frayé un chemin de sortie en dévorant sa chair. […] Les cicatrices de Hawley étaient les signes de dégâts antérieurs, qui avaient affecté sa vie bien avant la naissance de Loo. »  

Il y avait les douze travaux d’Hercule, il y aura désormais les douze balles dans la peau de Samuel Hawley. Hannah Tinti s’est d’ailleurs inspirée de l’histoire du fils de Zeux pour imaginer celle de Samuel, père célibataire trimbalant sa fille Loo et une cargaison d’armes à travers les Etats-Unis pour fuir un passé qui, s’il finissait par le rattraper un jour, pourrait faire de sacrés dégâts. Un drôle de personnage ce Samuel, avec ses douze cicatrices formant la cartographie intime d’une vie mouvementée, d’une jeunesse sur le fil du rasoir et de drames ayant laissé, tant dans son corps que dans son esprit, des traces indélébiles.

En s’installant au bord de l’océan à Olympus (Massachussetts) après des mois de cavale, Hawley revient sur les terres de sa défunte épouse Lily. Une épouse qui s’est noyée dans un lac quand Loo n’était encore qu’un bébé. C’est à Olympus qu’Hawley avait alors laissé l’enfant aux soins de sa grand-mère maternelle pendant plusieurs années avant de revenir la chercher brusquement et sans demander son avis à la mamy. Les retrouvailles sont donc plutôt fraîches entre Samuel et son ex-belle-mère. Au fil des mois, Loo apprécie une stabilité de vie qu’elle n’avait encore jamais connue. Le lycée, la plage, un petit boulot de serveuse et un petit copain, l’adolescente se sent bien à Olympus. Pour autant, elle n’est pas dupe et sait que son père cache de lourds secrets. De lourds secrets qui vont bientôt refaire surface et mettre à mal l’équilibre précaire qu’elle semblait enfin avoir trouvé.

N’y allons pas par quatre chemins, ce roman est formidable ! Un bijou de narration échevelée, une alternance de scènes d’action et de moments plus intimistes et une relation père fille bluffante de réalisme. Il aura fallu neuf ans à Hannah Tinti pour mettre en forme le parcours de Samuel, pour imaginer cette histoire où se succèdent à chaque chapitre le présent et le passé. On remonte ainsi dans le temps pour voir Samuel encaisser sa première balle, sa seconde, sa troisième et toutes les autres, une par une, dans des conditions toujours plus rocambolesques.

Une sorte de western moderne tonitruant et ficelé de main de maître qui laisse une grande place à l’émotion et parle sans faux semblants de culpabilité, de chagrin et d’amour filial. Il y a très longtemps que je n’avais pas croisé un écrivain possédant un tel talent de conteur. Les personnages sont incarnés, leurs blessures, leur fragilité, leurs faiblesses et leurs erreurs m’ont transporté et laissé sur le carreau, au point que j’ai eu un mal fou à les quitter. Un grand roman, plein de souffle, de violence et de tendresse contenue qui ne pourra qu’emballer les amateurs d’excellente littérature américaine.  

Les douze balles dans la peau de Samuel Hawley d’Hannah Tinti (traduit de l’anglais par Mona de Pracontal). Gallimard, 2017. 450 pages. 23,00 euros.








mercredi 5 juillet 2017

Coup de coeur jeunesse

Saxaoul m'a gentiment invité dans un de ses billets la semaine dernière à présenter mon coup de cœur jeunesse de l'année (scolaire).

J’aurais pu noyer le poisson en vous parlant de LA série que ma grande pépette de 15 ans a dévoré cette année.



Ou bien présenter celles que ma pépette n°2 (12 ans) a élu « séries de l’année » (romans et BD).


Voire même en remettre une couche sur les deux sales gosses que la petite dernière (4 ans) adore et que je lui ai lus en boucle toute l’année.



Il y a aussi le coup de cœur des centaines d’élèves de CM2-6ème avec lesquels j’ai passé bien des heures à parler lecture depuis septembre dernier.




Mais ces livres-là ne sont pas les miens. Et si je ne devais garder qu’un coup de cœur jeunesse à moi et rien qu’à moi, ce serait ce roman lu au moment de sa sortie il y a dix ans et relu le mois dernier à l’occasion de sa réédition. Une relecture avec le même plaisir et la même infinie admiration pour son auteur, qui est à mes yeux un  des plus grands écrivains américains en activité. 



Le premier qui pleure a perdu est une des 11 règles non officielles et non écrites (« mais t’as intérêt à les suivre sinon tu te fais cogner deux fois plus fort ») de la bagarre chez les indiens spokane, une tribu dont fait partie Junior. Un gamin maigrichon et de traviole, myope d’un œil, presbyte de l’autre, qui bégaie, zozotte et est né avec trop de liquide céphalo rachidien à l’intérieur du crâne. Un gamin qui se fait traiter de gogol à longueur de journée et préfère rester chez lui plutôt que de mettre le nez dehors. Une victime allez-vous me dire. LE pauvre gosse par excellence qui fait pleurer dans les chaumières. Sauf que non, pas du tout. Parce que Junior est unique. Il est drôle, fragile, lucide. Il sait qu’il fait partie d’une communauté de gens « tristes, déracinés, fous et méchants ». Il sait que son horizon est bouché, que l’alcool est le seul avenir possible, qu'il va suivre les traces de son père, bourré du matin au soir. Il sait que la misère ne le quittera plus jusqu’à sa tombe, comme tous ceux qui vivent sur la réserve.  

Mais Junior va décider de prendre les choses en main. A sa façon. Pathétique, résignée. Certain de tout foirer et en même temps prêt à ne pas renoncer. Quitte à se mettre les siens à dos. Junior veut intégrer le seul lycée blanc la région. Celui où aucun indien n’a jamais mis les pieds. Et tant pis s’il court à la catastrophe, tant pis si le naufrage est inéluctable.

Un roman formidable d’intensité, d’espoir et en même temps terriblement réaliste. Sherman Alexie est un indien Spokane. Il a écrit (pour les adultes) quelques-unes des plus belles nouvelles que j’ai lues dans ma vie. Il a écrit un premier roman incroyable (Indian Blues), un trhiller tendu comme un string (Indian Killer) et même de la poésie (Red Blues). J'ai lu tous ses livres. Il possède une façon unique de manier l’humour et l’ironie, de mettre le doigt là où ça fait mal sans jamais chercher à forcer le trait. Son regard critique passe à la moulinette et sans distinction le blanc et l’indien, tous deux responsables à leur manière de la situation dramatique dans laquelle se trouve ce dernier. 

On retrouve dans ce roman jeunesse toutes les qualités de ses textes pour adultes. C’est bluffant de maîtrise et d’intelligence, ça pique et en même temps on a l’impression que peu de choses valent la peine d’être prises au sérieux. Junior est un masturbateur compulsif. Junior bande quand l’infirmière du lycée, après lui avoir annoncé le décès de sa sœur, le prend dans ses bras. Junior pleure toutes les larmes de son corps quand son meilleur copain lui casse la gueule et reconnait dans la foulée qu’il a bien fait de l’abandonner en essayant de fuir la réserve. C’est magnifique d’audace, c’est un roman jeunesse qui se tamponne des modes et des codes. C’est un roman jeunesse qui ose montrer la vie dans toute son injustice, sa beauté et ses drames avec une liberté de ton inimitable. Et c’est tout simplement un de mes romans jeunesse préférés. Bien plus qu’un coup de cœur de l’année en somme.       

Le premier qui pleure a perdu de Sherman Alexie. Albin Michel jeunesse, 2017. 280 pages. 14,50 euros. A partir de 13 ans.







mardi 4 juillet 2017

Bianca - Guido Crepax

Un gigantesque trip sous acide, voila à quoi me fait penser Bianca. Cette intégrale regroupe l’ensemble de ses voyages oniriques. Pensionnaire dans une institution pour jeunes filles, Bianca plonge chaque nuit après s’être endormie dans un monde où elle passe son temps à se faire attacher, fouetter, caresser, déshabiller ou trainer en laisse. Bianca la soumise est souvent à quatre pattes, Bianca la mutique est une proie entre les mains de celles et ceux qui usent et abusent de son corps, mais Bianca la docile ne serait-elle pas, au final, celle qui mène la danse ?

Guido Crepax a commencé sa carrière en illustrant des pochettes de disques de jazz. Son récit ressemble à une grande impro musicale aussi spontanée qu’incontrôlable laissant l’imaginaire prendre le pouvoir. Sorti en 1970, le premier album de Bianca a tout du délire psychédélique mâtiné de sadomasochisme et saupoudré d’une belle dose de saphisme.

Autant l’avouer, je n’ai pas vraiment compris le but de ce délire. Bon, ok, je n’y ai même rien pigé du tout. Mais on s’en fiche. Car l’essentiel est ailleurs. Dans le noir et blanc élégant et ultra sophistiqué d’un maître de la bande dessinée érotique mais aussi et surtout dans la plastique d’une héroïne à la classe folle. Bianca aimante les regards, elle est le seul et unique centre d’attention, tout ce qui gravite autour d’elle n’est qu’accessoire, tant les personnages secondaires que les décors et l’histoire elle-même. D’ailleurs, pour le regretté Wolinski, Bianca possédait les plus belles fesses de la BD. Perso, je lui préfère celles de Druuna mais clairement, il y a match entre les deux !

Loin d’une pornographie gratuitement bestiale, Crepax privilégie la suggestion et l’esthétique, menant sa barque en toute liberté pour créer un univers délicieusement sulfureux. Culte et incontournable pour les amateurs du genre.

Bianca de Guido Crepax. Delcourt, 2017. 272 pages. 22,95 euros.







dimanche 2 juillet 2017

Les lectures de Charlotte (39) : Mais que font les parents la nuit ? - Thierry Lenain et Barroux

Sofia se demande ce que font ses parents pendant qu’elle dort la nuit. Elle pense qu’ils regardent des dessins animés, qu’ils se goinfrent de gâteaux et de bonbons, qu’ils se transforment en monstres pour aller dans le pays où il y a plein de dragons, qu’ils font la fête avec des copains ou bien d’autres choses encore. A chaque proposition ses parents répondent par la négative avec d’indiscutables arguments. Alors, pour être certaine d’obtenir la réponse à sa question Sofia n’a qu’une seule solution…

Un album rigolo au texte plutôt simple qui vaut surtout pour les superbes double pages fourmillant de détails d’un Barroux très inspiré. Ce dernier met en lumière avec malice l’imagination débordante d’une petite fille trop choupi avec son doudou lapinou. Un régal pour les yeux !

Nul doute que les interrogations de Sophia rejoindront celles de beaucoup d’enfants, même si je sais que Charlotte ne se posera jamais ce genre de question vu le nombre de nuits qu’elle passe dans notre lit. Au moins elle sait parfaitement que quand elle dort, nous faisons la même chose qu’elle.

Mais que font les parents la nuit ? de Thierry Lenain et Barroux. Little Urban, 2017. 30 pages. 13,50 euros. A partir de 3-4 ans.

vendredi 30 juin 2017

Transsiberian back to black - Andreï Doronine

Etre toxico à Saint-Pétersbourg au milieu des années 90. Pas simple. Pas simple de trouver sa dose, de trouver de l’argent, de gérer le manque. Tous les coups sont permis, toutes les compromissions, les lâchetés et trahisons possibles. Tokha agresse les passants en les frappant par derrière avec des chats congelés par le froid hivernal. Youkla, elle, ramène dans son appartement des pauvres types complètement bourrés croisés en boîte avant de les droguer et de prendre des photos compromettantes afin de les faire chanter. Marin est plus direct, du genre à arracher les boucles d’oreilles de ses victimes en embarquant leur lobe. Le narrateur de ces nouvelles, aussi irréversiblement accro que ses comparses, est le seul à bosser. Il multiplie les petits boulots, dans un théâtre, une télé locale, ou en jouant au « taxi vétérinaire » pour véhiculer les animaux malades de clients aisés. L’argent gagné (ou extorqué) sert à financer les injections quotidiennes d’héroïne et tous s’enfoncent chaque jour davantage, conscients de la chute finale à venir mais incapables de stopper la spirale infernale dans laquelle ils ne cessent de sombrer.

Andreï Doronine raconte sa vie de drogué, sa vie d’avant. Une vie bête et méchante. Une vie pathétique faite de souffrance et de douleur pour quelques instants de plénitude. Une vie passée à abandonner toute dignité, toute hygiène, toute illusion. Une vie de galère, pitoyable, misérable, violente.

L’autobiographie, à peine romancée, est trempée dans une autodérision et un humour noir qui peuvent choquer : « Comment peut-on plaisanter sur les drogues ? C’est horrible, horrible ! ». Doronine a reçu beaucoup de lettres de lecteurs indignés par sa légèreté de ton. Heureusement, il n’en a rien eu à cirer et a continué à tracer le sillon d’une tragi-comédie minable et désespérée, « sans la moindre sentimentalité inutile ». Alors oui, ça pique, et pas seulement parce que l’aiguille s’enfonce dans la veine. Mais il y a dans son écriture une urgence teintée d’ironie qui raconte la déchéance avec une forme de distance évitant le misérabilisme, évitant surtout à l’auteur de s’appesantir sur son sort. C’est cash, trash, sans concession, nihiliste. Les écrivains punks ne sont pas morts. En Russie du moins.

Transsiberian back to black d’Andreï Doronine. La Manufacture des livres, 2017. 170 pages. 16,90 euros.






mercredi 28 juin 2017

Crache trois fois - Davide Reviati

Guido, Grisou, Katango et les autres. Des ados en échec scolaire qui fréquentent le même lycée technique et laissent filer leurs journées entre virées au bar, au billard ou au bord de la rivière accompagnés par l’alcool, la fumette et un avenir à l’horizon bouché. Des gamins fascinés par la mystérieuse Loretta, une tsigane installée avec sa famille dans une ferme abandonnée. Plusieurs époques se croisent, plusieurs destins se nouent pour souligner le difficile passage de l’adolescence vers le monde des adultes.

565 pages en noir blanc. Une bonne dose de concentration et  pas mal de temps devant soi sont nécessaires pour se plonger dans ce roman graphique plein de souffle qui dit l’adolescence dans tout son ennui, son indolence, sa bêtise crasse, ses amitiés indéfectibles, sa violence, ses excès et sa fragilité. Un roman graphique qui vous embarque comme une lame de fond. Un roman graphique auquel il ne faut pas chercher à résister. Se laisser chahuter par ses remous, ses circonvolutions, son rythme fait de ruptures, d’accélérations et d’apaisement. Et ne pas s’étonner de croiser John Wayne, des loups-garous ou un singe qui se rince les couilles dans un verre de bière.

Crache trois fois incite le lecteur au lâcher prise. Le récit est à la fois profond, instructif, poétique et universel. Le racisme ordinaire des campagnes côtoie l’histoire tragique du peuple rom, la virilité affichée cache sous le vernis de la fanfaronnade une vulnérabilité à fleur de peau. Davide Reviati décrit une jeunesse italienne rurale désœuvrée, sans repère, immature, dans un noir blanc souple et hachuré, basculant du réalisme le plus trivial à un onirisme d’une grande poésie. Un album ambitieux et dense qui se mérite, certes, mais laissera au final à ceux ayant accepté de se laisser emporter par sa puissance un inoubliable plaisir de lecture.


Crache trois fois de Davide Reviati. Ici Même éditions, 2017. 568 pages. 34,00 euros.