vendredi 8 septembre 2017

Éléphant- Martin Suter

Près de Zurich, Schoch le SDF se réveille au fond de sa grotte nez à nez avec un éléphant rose de 30 cm qui brille dans le noir. Rien d’affolant à première vue, étant donné la cuite qu’il s’est pris la veille. Sauf qu’après avoir dessaoulé, il constate que l’éléphant est toujours là. Le pachyderme, fruit d’une manipulation génétique, a été déposé par un soigneur de cirque voulant à tout prix le protéger. Car le professeur Roux, à la base de l’expérience lui ayant donné la vie, voit dans cette créature improbable un potentiel commercial phénoménal. Avec ses associés, il se lance sur la piste de « son » trésor et compte bien le récupérer coûte que coûte.

Un SDF, une vétérinaire, un chinois, un savant fou, un birman et surtout un mini éléphant rose phosphorescent. Des ingrédients incongrus pour un roman aux faux airs de conte fantastique, parfois proche du thriller, qui interroge sur les avancées de la génétique et plonge avec un réalisme sidérant au cœur du quotidien difficile des sans-domicile-fixe. Le tout en alliant courses poursuites endiablées et moments intimistes, humour noir un poil cynique et questionnements philosophiques.

Martin Suter a bâti son roman sur une implacable chronologie. Il a par ailleurs pris le temps d’échanger avec les plus grands spécialistes de la génétique et de la fécondation artificielle de l’éléphant pour donner à son propos, de prime abord délirant, des références solidement documentées. Pour autant, son art de la concision lui permet de garder en permanence les informations scientifiques au service du récit sans jamais l’alourdir, un vrai tour de force.

Un roman à la construction parfaite, qui se dévore comme un page-turner et surprend par sa profondeur de réflexion. Assurément une des plus belles surprises de la rentrée littéraire (pour l'instant et en ce qui me concerne du moins).

Éléphant de Martin Suter (traduit de l’allemand par Olivier Mannonni). Bourgois, 2017. 356 pages. 22,00 euros.






mercredi 6 septembre 2017

Chevalier Brayard - Zidrou et Francis Porcel

S’en revenant de croisade, le chevalier Brayard tombe, près de son château, sur une fuyarde s’avérant être une princesse arabe kidnappée par l’un de ses « confrères ». Après avoir passé quelques jours déprimants auprès de sa pimbêche d’épouse, Brayard décide de reprendre la route pour ramener la princesse chez elle et récupérer la rançon promise par son père. Mais forcément, le chemin vers Alep sera semé d’embûches...

Qui aime bien châtie bien ? Ok, alors laissez-moi sortir le fouet. Mais où est passé Zidrou ? Le Zidrou que j’adore je veux dire, celui qui allie humour, émotion, surprise et vraie profondeur de réflexion. Dans cet album il est clairement aux abonnés absents. Après une entrée en matière prometteuse aux faux airs de Don Quichotte, la suite, loin d’être picaresque, tient davantage de la chute vertigineuse : scénario plat comme le dos de la main, scènes d’escarmouches répétitives avec bandits de grand chemin aussi fade qu’un pain sans sel, chevalier braillant la même ritournelle à longueur de pages et humour au ras des pâquerettes (implorer « Saint coup fourré » pendant un guet-apens ou « Saint Titanic » au moment d’un naufrage, sérieusement ????), le menu est plus qu’indigeste.

Non, vraiment, je n’ai rien trouvé à sauver de ce bouillon, à part peut-être le dessin très dynamique de Porcel et sa jolie maîtrise des couleurs. Un album lourdingue, anecdotique, sans le moindre intérêt. Je n’aurais pas cru dire cela un jour d’un scénario de Zidrou, comme quoi tout arrive. Entre Les beaux étés et ce Chevalier Brayard l’écart est abyssal, sans doute la preuve que même les meilleurs ont droit à un coup de pompe de temps en temps.


Chevalier Brayard de Zidrou et Francis Porcel. Dargaud, 2017. 80 pages. 15,00 euros.



Une lecture commune partagée avec Noukette. Je me demande si cette fan absolue de Zidrou va lui trouver des circonstances atténuantes !
















mardi 5 septembre 2017

Naissance des cœurs de pierre - Antoine Dole

Dans un futur plus ou moins proche, Jeb est en route avec sa mère Niline pour la plus grande épreuve de sa vie. A 12 ans, il va devoir prouver qu’il est prêt à rentrer dans Le Programme et laisser derrière lui toute forme d’émotion. Les taire, les oublier, ne plus rien ressentir et œuvrer sans sourciller pour maintenir l’équilibre du Nouveau Monde. Afin d'y parvenir, il va ingurgiter un traitement lourd et passer un entretien pour confirmer qu’il est prêt à suivre le chemin tracé par les membres de la communauté. Dans le cas contraire, il disparaîtra, comme ces enfants ayant échoué à ce fameux entretien et dont plus personne n’a de nouvelles.

J’ai d’emblée senti que ce petit air de dystopie adolescente serait parfait pour ma grande pépette de 15 ans, fan du genre. Je lui ai donc mis ce livre entre les mains pour voir ce qu’elle en pensait. Verdict cinq minutes plus tard, après avoir parcouru le premier chapitre : « C’est nul, on dirait Divergente. De toute façon c’est toujours les mêmes histoires, ils changent juste les noms… ».

Bon, bon, bon… voilà donc un avis direct et concis (les chiens ne font pas des chats il paraît). Un avis que je ne partage pas du tout. D’abord parce que je n’ai jamais lu Divergente et consorts, donc j’ai porté un œil neuf sur ce roman. Ensuite parce qu’elle ne connait pas la plume et l’univers torturé d’Antoine Dole, un auteur qui ne laisse jamais indifférent. Enfin parce qu’elle n’est pas allée plus loin que le premier chapitre, grave erreur s’il en est puisque dès le second on bascule dans un passé qui ressemble beaucoup à notre présent avec l’histoire d’Aude, une lycéenne rentrant en seconde dans un établissement huppé. Ce changement de lieu et d’époque entre chaque chapitre joue beaucoup sur la mécanique du récit, notamment parce que l’on ne cesse de se demander quel est le lien entre Jeb et Aude.

Par rapport à ses romans précédents, l’écriture d’Antoine Dole m’a paru moins heurtée, moins « coup de poing ». Elle gagne en fluidité ce qu’elle perd en nervosité et ce n’est pas plus mal. Après, j’ai retrouvé avec plaisir sa propension à ne jamais ménager ses personnages, des écorchés à vif à fleur de peau particulièrement attachants, ainsi que son habitude consistant à ne laisser filtrer qu’un infime rai de lumière dans une ambiance des plus sombres. Sans oublier son allergie aux happy end qui est à mes yeux une réelle qualité pour un auteur de littérature jeunesse. Bref, un Antoine Dole égal à lui à même, entraînant ses lecteurs sur un terrain où on ne l’attend pas vraiment sans pour autant renier les fondamentaux qui sont depuis des années sa marque de fabrique.

Naissance des cœurs de pierre d’Antoine Dole. Actes Sud junior, 2017. 150 pages. 14,50 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi avec Noukette.











dimanche 3 septembre 2017

L'école : c'est pas si compliqué ! - Isabelle Delpuech et Rémi Saillard

La rentrée c’est demain. Forcément, le stress monte. Chez les profs, chez les parents et surtout chez les élèves. Du moins chez certains d’entre eux. Pour dédramatiser ce moment délicat, mieux vaut en parler. Avec ce petit livre, l’occasion est idéale. Il s’ouvre sur l’histoire de Nathan qui, au moment d’acheter ses fournitures trois jours avant la rentrée, est d’une humeur de chien. Pour lui l’école c’est « du travail, des contrôles et pire, des notes, souvent moyennes, parfois mauvaises ». Il tente dans un premier temps d’exprimer maladroitement son malaise mais quand il parvient vraiment à se confier à ses parents, les choses s’arrangent.

Une nouvelle collection pour les 6-9 ans intelligemment pensée qui aborde les petits et gros soucis du quotidien. Une histoire donc, puis dix grandes questions thématiques avec pour chacune d’entre elle réponses, conseils, astuces et pistes de réflexion. La mise en page est simple, aérée et intuitive, avec beaucoup d’illustrations, des paragraphes courts et des cartouches récurrentes d’une question à l’autre.

Parmi les interrogations sur le thème de l’école, nous avons donc : Tu as peur de ton maître ou de ta maîtresse ? Tu as peur de ne pas être dans la même classe que tes copains ? L’école te fatigue ? À l’école tu te sens nul(le) ? etc.



Le texte n'est ni trop généraliste ni cucul la praline. Isabelle Delpuech est professeur des écoles spécialisée, elle a su trouver le ton juste pour informer, rassurer et surtout dédramatiser. Un livre-outil d’une indéniable utilité.

L'école : c'est pas si compliqué ! d'Isabelle Delpuech (illustrations Rémi Saillard). Zethel, 2017. 34 pages. 9,90 euros. A partir de 6 ans.


Les autres titres de la collection :













vendredi 1 septembre 2017

À malin, malin et demi - Richard Russo

Pourquoi n’ai-je pas lu Richard Russo plus tôt ? Voilà la question que je me suis posée tout au long de ce roman tant l’humour noir, l’ironie mordante et l’écriture cinglante correspondent en tout point à ce que j’aime. Russo reprend ici le cadre et les personnages  « d’un homme presque parfait », publié il y a 25 ans et que je me suis empressé d’acheter cette semaine. On retrouve donc cette bonne vieille ville de North Bath, cité industrielle du nord de l’État de New York en pleine décrépitude qui a connu son heure de gloire comme station thermale au début du 19ème siècle mais a depuis perdu de sa superbe au dépend de Schuyler Springs, sa jumelle située à quelques encablures où tout semble plus propre, plus beau, plus attirant et plus civilisé.

Le roman s’ouvre dans les allées du cimetière où se déroule l’enterrement du juge Barton Flatt en présence du maire et des ronds de cuir locaux. Parmi eux Douglas Raymer, le chef de la police, déprimé depuis la mort de sa femme un an plus tôt dans une malheureuse chute d’escalier alors qu’elle venait de faire ses valises et de lui annoncer dans une lettre qu’elle le quittait pour un autre. A partir de cette scène d’ouverture, Russo déplie son intrigue sur 48 heures et tant d’événements s’enchaînent qu’il est impossible de les résumer. Sachez juste que vous croiserez, entre autres, un repris de justice tatoué, un entrepreneur poissard à la virilité défaillante, une restauratrice gouailleuse, un vieux de la vieille à qui on ne la fait pas, une standardiste volubile, des serpents très venimeux, un orage dantesque, une télécommande de garage capricieuse et un chien qui passe son temps à se machouiller le pénis. Rien que ça.

Évidemment j’ai adoré. C’est déjanté tout en restant très cohérent, c’est drôle, cynique, sans pitié, irrésistible quoi. Et puis cette galerie de personnages est inoubliable, tous plus cabossés les uns que les autres, tous abattus, tous résignés à sauter dans le vide sans parachute. Un bal des médiocres où chacun tient son rôle à merveille, où chacun enchaîne les humiliations et les regrets sans repentir. J’ai rarement vu un roman aller aussi loin dans le pathétique, un pathétique qui nous laisse à la fois désolé et mort de rire, effaré et goguenard. Du grand art malgré une fin trop bisounours et positive par rapport au reste, à la limite de la faute de goût. Pas de quoi effacer pour autant l’immense plaisir de lecture que m’a procuré cette balade dans les rues de North Bath.

À malin, malin et demi de Richard Russo (traduit de l’anglais par Jean Esch). Quai Voltaire/La Table Ronde, 2017. 620 pages. 24,00 euros.












jeudi 31 août 2017

Fief - David Lopez

« L’ennui, c’est de la gestion. Ça se construit. Ça se stimule. Il faut un certain sens de la mesure. On a trouvé la parade, on s’amuse à se faire chier. On désamorce. Ça nous arrive d’être frustrés, mais l’essentiel pour nous c’est de rester à notre place. Parce que de là où on est on ne risque pas de tomber. »

Jonas, Ixe, Lahuisse, Untel, Sucré, Miskine, Romain, Poto, Habib. Les rois de la glande. Une bande d’inséparables où on se salue à coups de checks épaule contre épaule, où on enchaîne les moqueries et les insultes bon enfant, où on passe ses journées à jouer aux cartes et à la console, à fumer des pétards, à dealer un peu aussi à l’occasion, à faire quelques virées nocturnes alcoolisées et à fréquenter la salle de boxe. Dans leur petite ville de province, il n’y rien d’autre à faire. Rien de mieux à faire surtout.

Je ne connais rien de David Lopez, à part qu’il a 32 ans et que Fief est son premier roman. Impossible donc de savoir si ce livre a quelque chose d’autobiographique mais force est de constater qu’il sent le vécu à plein nez. Il raconte au fil des chapitres le quotidien des pas grand-chose, l’existence ordinaire d’une France sans avenir qui ne se plaint pas de son sort mais ne peut pas se projeter dans le futur, à court ou à long terme. Une France qui a appris que « le seul chemin vers le bonheur c’était la résignation, pas honteuse mais clairvoyante ».

Il ne faudrait pas faire l’erreur de prendre ce texte pour un roman de racailles à la vulgarité gratuite enfilant les clichés comme des perles. L'écriture est vivante, elle saisit la vitalité, la répartie et la dérision d’une langue propre à des gamins dont la nonchalance peut agacer mais que pour ma part j’ai trouvés particulièrement attachants. Il se dégage du récit une poésie crue, spontanée, sans fioriture, illuminée par des scènes aussi belles qu’improbables comme cette dictée improvisée autour d’un extrait du « Voyage au bout de la nuit » ou les références au jardin de Candide que Jonas et ses compères ont bien du mal à interpréter.

Loin d’une apologie de l’oisiveté, loin de tout jugement, David Lopez croque la réalité d’une jeunesse sans rêve qui ne cherche en aucun à élargir son horizon, une jeunesse prête à basculer dans l’âge adulte sans la moindre illusion. Désespérant, exagéré ou lucide, à chacun de se faire sa propre idée. Personnellement, j’ai quitté ces lascars à regret et j’aurais adoré continuer à faire un bout de chemin vers nulle part avec eux.

Fief de David Lopez. Seuil, 2017. 252 pages. 17,50 euros.





mercredi 30 août 2017

L'anniversaire de Kim Jong-Il - Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag

Saxaoul a fait de cet album un énorme coup de cœur de l'année (son billet ici) alors quand je l'ai vu la semaine dernière sur le présentoir des nouveautés de la médiathèque, j'ai sauté dessus.

Comment peut-on supporter de vivre dans le pays le plus fermé du monde, un pays où aucune information venant de l’extérieur ne peut entrer, où la population meurt de faim et où le culte de la personnalité du dictateur prend des proportions inimaginables ? Jun Sang, 8 ans, ne se pose pas ce genre de questions. La faim, les voleurs exécutés en place publique, le travail dans les champs après l’école, les coupures d’électricité à répétition, l’unique chaîne de télé à la gloire du régime ou les camps de concentration pour mater les « contre-révolutionnaires », rien ne l’étonne puisqu’il ne connaît que cela et qu’il n’imagine pas que l’on puisse vivre autrement.

Aurélien Ducoudray décrit une Corée du Nord à hauteur d’enfant. Un enfant qui, comme l’ensemble de la population, fait partie d’un système politique, social et militaire ne pouvant souffrir aucune contestation. Son point de vue sans la moindre capacité de jugement et d’esprit critique est à la fois déroutant, naïf et incroyablement naturel. Dans la première partie de l’album, il est casse-cou et débrouillard comme bien des enfants de son âge, il traîne avec ses copains et fait les quatre cents coups. Mais par la suite la tonalité devient plus lourde, plus sombre, l’horizon se bouche davantage encore et les espoirs d’une vie meilleure, s’ils existent bel et bien, paraissent inaccessibles.

J’ai trouvé l’ensemble mené de main de maître, instructif, réaliste mais loin de toute critique frontale et sans nuance. C’est simple, tout sonne juste : le déroulement des événements, les dialogues et même le dessin mignon comme tout avec ses couleurs pastels semblant au départ peu adapté à une telle histoire mais qui se révèle au final parfait pour créer une distance avec la dureté des horreurs vécues.

Saxaoul avait raison, cet album est une totale réussite et je le classe à mon tour sans hésiter parmi mes plus belles découvertes BD de l’année.

L'anniversaire de Kim Jong-Il d’Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag. Delcourt, 2016. 142 pages. 16,95 euros.











mardi 29 août 2017

La camionnette blanche - Sophie Knapp

Il a suffi d’un prof absent. Un lundi. Finir à 16h au lieu de 17. Devoir rentrer à pied, seule. Et là, rue du Clos, une camionnette blanche stationnée le long du trottoir avec le moteur qui tourne, le carreau de la portière baissée et une voix d’homme qui appelle : « Mademoiselle, s’il vous plait ! ». Clémentine se retourne et voit ce quel n’aurait jamais voulu voir : « Ses mains touchent quelque chose, au niveau de la braguette de son pantalon. L’espace d’une seconde, mes yeux passent sur son visage, puis sans que je le décide, mon regard descend plus bas, attiré par le mouvement de ses mains ».

De retour à la maison après une course folle, Clémentine peine à retrouver son calme. Les jours passent, l’inquiétude perdure. Surtout, le lundi suivant approche, le prof est toujours absent et la jeune collégienne n’imagine pas une seconde rentrer seule chez elle…

Attention, sujet brulant, terrain glissant. La mauvaise rencontre, l’émotion engendrée par un événement inattendu et choquant. Comment aborder la question sans tomber dans la dramatisation à outrance et, à contrario, sans donner l’impression de survoler le sujet ? En parlant d’exhibitionnisme et non de viol ou d’enlèvement, Sophie Knapp choisit un angle d’attaque moins « frontal » qui lui permet néanmoins de démontrer avec beaucoup de justesse qu’une agression, même si elle n’est pas physique, peut faire de terribles dégâts psychologiques. On assiste, après la peur et le réflexe de fuite, au cheminement du traumatisme : l’enfermement dans le silence malgré le besoin d’être rassurée, l’impression de se sentir sale, honteuse, « presque coupable », la certitude d’avoir assisté à quelque chose qui n’était pas normal et que l’on n’a pas compris, la certitude que quelqu’un nous a fait du mal.

Clémentine est touchante, on a envie de la prendre dans nos bras pour la consoler, de lui dire que tout va bien, que tout va s’arranger, que l’on comprend son malaise. Ses parents sont eux aussi croqués avec beaucoup de justesse. Ils ne se rendent pas compte du changement de comportement, ils ne voient pas les signaux d’appel à l’aide envoyés par leur fille et ils réagissent de la meilleure manière possible une fois l’abcès crevé.

Publié pour la première fois en 2009 chez le même éditeur, ce petit roman intelligemment mené et d’une grande pertinence est un outil idéal pour faire prendre conscience aux enfants de l’importance de se confier à son entourage et de ne jamais garder pour soi des secrets trop lourds à porter.

La camionnette blanche de Sophie Knapp. Petit à Petit, 2017. 80 pages. 7,50 euros. A partir de 10 ans.


Une pépite jeunesse partagée comme chaque mardi avec Noukette.












dimanche 27 août 2017

La vie du bon côté - Keisuke Hada

« Dans la société actuelle, condamné par les progrès de l’espérance de vie à continuer de subsister sans rien pouvoir faire de ce qui lui plaît, chacun doit réfléchir par lui-même aux conditions dans lesquelles accueillir la mort. Pour la majorité des gens, cela se réduit à attendre la fin d’un enfer sans jour ni nuit. S’agissait-il d’une épreuve imposée à l’homme contemporain et à sa longévité ? N’était-ce pas trop cruel d’infliger cela à son petit papy ? »

Kento, au chômage, enchaîne les entretiens d’embauche infructueux. Il a une petite amie, avec laquelle il passe régulièrement quelques heures dans des Love Hotels, faisant preuve d’un certain manque d’endurance au lit. A vingt-huit ans il vit encore chez sa mère avec son grand-père, se lève souvent en fin de matinée et glandouille le reste de la journée. Le papy est au bout du rouleau. Il se traîne, se plaint continuellement de douleurs dans tout le corps et répète à longueur de journée qu’il veut mourir, que ce serait mieux pour tout le monde. Kento n’est pas loin de partager son avis, à tel point que sur les conseils de son copain Daisuke qui travaille dans une maison de retraite, il décide d’exaucer le voeu du vieillard en appliquant des règles strictes : ne pas le laisser réfléchir, lui ôter toute opportunité de faire travailler son cerveau, ne rien lui laisser faire seul, accomplir toutes les tâches à sa place pour saper son autonomie, éviter tout exercice physique pour laisser ses muscles s’atrophier. En gros céder à tous ses caprices, l’affaiblir physiquement et mentalement pour précipiter sa fin de vie. Simple sur le papier, la méthode ne s’avère pourtant pas, à l’usage, d’une grande efficacité...

Un roman qui a remporté en 2015 le prestigieux prix Akutagawa, l’équivalent du Goncourt japonais. Un roman étrange et décalé qui aborde un des sujets de société les plus importants du Japon actuel : le vieillissement de la population et la prise en charge des personnes âgées. Kento et sa mère vivent un enfer quotidien avec le papy, ce dernier en a conscience et aimerait ne plus être un fardeau mais son heure semble loin d’être arrivée. Ils n’ont pas les moyens de le mettre dans une maison de retraite privée, les établissements publics ont des listes d’attente longues comme le bras et le fait d’imaginer prolonger ce ménage à trois de quelques années apparaît à tous insupportable. Alors que faire ?

Le texte allie d’abord cynisme et dérision. La mère acariâtre est détestable, le grand-père geignard ne suscite aucune empathie et la volonté froide de Kento d’accéder au souhait mortifère de son aïeul met mal à l’aise. Mais assez vite on comprend que chacun est dans une posture, un jeu de dupe. Et quand les masques tombent le récit prend une tournure bienveillante qui n’a rien d’artificielle ni de gnangnan. Décidément, la littérature japonaise n’a pas fini de me surprendre.

La vie du bon côté de Keisuke Hada (traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako). Picquier, 2017. 150 pages. 16,50 euros.






vendredi 25 août 2017

Underground Railroad - Colson Whitehead

L’Undergound Railroad est un réseau de chemin de fer souterrain et clandestin traversant les États-Unis du Sud au nord. Un réseau construit par des abolitionnistes blancs et des esclaves affranchis pour offrir une route vers la liberté à ceux ayant l’audace de tenter leur chance. Cora l’a utilisé pour quitter la plantation de Géorgie où sa vie était un enfer. Une fuite éperdue avec sur ses traces le terrible chasseur d’esclaves Ridgeway, bien décidé à mettre le grappin sur celle dont la mère est la seule à avoir pu échapper à ses griffes des années auparavant.

Caroline du Sud, Caroline du Nord, Indiana, Cora remonte vers le nord et découvre dans chaque état une forme de racisme différente : stérilisation de masse, pendaison et lynchage pour les blancs se montrant trop conciliants avec les noirs, repli communautaire dans un état « progressiste » tenant plus du miroir aux alouettes que d’un espoir réel, Cora découvre du haut de ses 16 ans que « le monde rend les hommes méchants ».

 L’Undergound Railroad, réseau d’aide aux esclaves fugitifs, a bien existé, mais pas sous la forme d’un chemin de fer souterrain. Cette « invention » permet à Colson Whitehead de donner une dimension fantastique salutaire à un récit d’une brutale réalité. Car la fuite de Cora n’a évidemment rien d’un long fleuve tranquille. C’est une lutte farouche et désespérée contre l’adversité, un chemin semé d’horreurs où les désillusions s’enchaînent. Impossible de ne pas s’indigner devant le traitement réservé à la population noire par les états du sud avant la guerre de sécession. Impossible de ne pas mettre en parallèle ce traitement avec la question raciale toujours brûlante dans l’Amérique d’aujourd’hui. Et impossible également de ne pas voir dans la situation de Cora le reflet de celle des migrants actuels, fuyant un enfer en pensant que l’herbe est forcément plus verte ailleurs alors qu’ils ne sont en réalité bienvenus nulle part.

Un roman puissant, habité, très documenté, où l’insoutenable n’est pas un effet de style qui cherche gratuitement l’obscène et le sensationnel. On en sort secoué, ébranlé, anéanti devant autant de haine, ébloui devant autant d’abnégation, devant une telle volonté de vivre dans un monde vous faisant perpétuellement comprendre qu’il n’y aura jamais de place pour vous à la table des rois. Surtout, on sort de ce roman en se disant avec tristesse et effarement que Colson Whitehead vient peut-être de nous montrer, avec un incroyable brio, le vrai visage de l’Amérique.

 Underground Railroad de Colson Whitehead (traduit de l’anglais par Serge Chauvin). Albin Michel, 2017. 400 pages. 22,90 euros.